mercredi 21 mars 2018

"Knightriders" de George A. Romero (1981)

Avec Knightriders, George Romero quittait le registre du film d'horreur pour transposer la légende du Roi Arthur dans l'Amérique profonde. Sans oublier d'inclure au passage quelques joutes épiques mettant en scène des chevaliers juchés sur des motos !

Knightriders George Romero

Au vue de cette affiche, on s'attendrait à un Mad Max médiéval, une fantaisie heavy metal pleine de bruit et de fureur où des chevaliers juchés sur des montures customisées se mettraient joyeusement sur la tronche !

Eh bien détrompez vous, Messire: Knightriders nous invite à suivre une troupe itinérante de motards - plutôt Flower Power que Hell's Angels - s'arrêtant de ville en ville pour y livrer ses joutes médiévales motorisées devant un public généralement constitué de beaufs ricains (l'occasion d'ailleurs d'un hilarant cameo de Stephen King). Cette troupe de ménestrels est placée sous la relative autorité d'un roi interprété par un tout jeune Ed Harris

Fatigué d'être un objet d'adoration pour ses sujets, le souverain attend qu'un preux chevalier vienne le défier pour le destituer de son trône. Serait-ce Morgan, le chevalier noir ? Tandis que les tensions s'installent,  un impresario avide vient ajouter son grain de sel en promettant monts et merveilles à quelques un des plus fidèles sujets. La cour va alors se diviser en deux camps, l'un fidèle à l'idéal chevaleresque, l'autre plus volontier réceptif à l'appel du dollar facile.

En mettant en scène cette communauté pseudo médiéval, particulièrement inclusive - un Merlin black et un chevalier femme en font partie - évoluant en marge de la société, George Romero semble interroger la survivance d'une utopie anarchiste et libertaire dans l'Amérique profonde au lendemain des années 60 dont elle est l'héritage. Ce n'est donc peut-être pas un hasard si le roi Billy rappelle quelque peu - du moins physiquement - Ken Kesey à la tête de ses Merry Pranksters.

A noter que Knightriders vient d'être récemment réédité en DVD dans la collection Blaq Market. Parmi les sympathique bonus, le point de vue d'un historien remettant en perspective la fantaisie médiévale telle qu'elle a été appropriée par la génération hippie...

lundi 12 février 2018

Black Sabbath - Heaven And Hell (Vertigo/Warner Bros - 1980)

Et si le légendaire  Ronnie James Dio était l'une des plus belles plumes du heavy metal ? Petit focus sur les lyrics écrits pour l'album Heaven and Hell de Black Sabbath...

Black Sabbath Heaven and Hell

Aujourd'hui élevé au rang d'icône par la communauté metal, Ronnie James Dio (1942-2010)  est encore,  lorsqu'il rejoint Black Sabbath en 1980, un bien mystérieux personnage. Trainant ses frusques moyenâgeuses dans le circuit rock depuis 1958, son âge est à l'époque tenu secret. Son physique de lutin malicieux ajoute encore à sa mystique. Sans parler de ses textes qui, pour la plupart, évoquent les légendes oubliées d'une époque lointaine peuplée de preux chevaliers et de dragons féroces. Empreints d'une rare poésie, ils semblent souvent porteur d'un message caché, dont le sens profond demeure toutefois généralement insaisissable.  

Je vais vous le prouver sans plus attendre en sélectionnant au hasard deux morceaux du légendaire répertoire de Ronnie. Voyons, voir...   "If You Don't Like Rock n' Roll" ou "Long Live Rock N' Roll" de Rainbow ! Quoique, réflexion faite...

Penchons nous plutôt sur l'album Heaven and Hell de Black Sabbath . En rejoignant le groupe, Dio a transposé avec succès son imaginaire Donjons & Dragons dans l'univers très sombre du quartet de Birmingham. Offrant au passage certains de ses textes les plus ésotériques... 

L'album s'ouvre ainsi sur Neon Nights sur lequel, aidé d'un riff chromé porté une rythmique pachydermique, Dio  "en appelle aux légions des braves, le temps [étant] à nouveau venu de nous sauver des chacals de la rue" ("Cry Out to Legions of the Brave / Time Afain to Save Us From the Jackals of the Street").


Neon Knights

Comme souvent, le chanteur semble utiliser le prisme des romans de chevalerie pour mieux nous parler du monde moderne, dont il se fait ici le moralisateur. Ces "chevaliers de néon" symboliseraient alors la banalisation de la violence urbaine et la disparition de l'élan chevaleresque qui animait les héros du temps jadis.

Le texte de "Children Of The Sea" aborde pour sa part le thème de l'écologie. Le morceau s'ouvre ainsi sur une délicate intro évoquant une aube nébuleuse de fin du monde :

"Un matin brumeux aux confins du temps, nous avons perdu le soleil levant, le signe final... Alors que le matin brumeux s'enroule pour mourir, cherchant à atteindre les étoiles, nous avons aveuglé le ciel"

 ("In the Misty Morning on the Edge of Time / We've Lost the Rising Sun A Final Sign / As the Misty Morning Rolls Away to Die / Reaching for the Stars We Blind the Sky").

Ce avant de chanter l'avènement d'un soleil noir, aidé par la lourdeur d'un riff proprement tellurique !

Sur le morceau titre "Heaven and Hell", le guitariste Tony Iommi renoue avec l'inspiration médiévale des premiers albums, offrant un écrin parfait à la voix de Ronnie James Dio dont les vocalises célestes semblent, le temps d'un pont lumineux, échappées des limbes. Sur des couplets autrement plus plombés, le poète encourage l'auditeur à chercher par lui-même des réponses à ses questions, le mettant en garde contre ces charlatans et bonimenteurs qui parcourent le monde:

"Si cela semble  réel, ce n'est pourtant qu'illusion. Pour chaque moment de clarté, la vie offre son lot de confusion (...) Le monde est plein de rois et de reines, qui t'aveugleront pour voler tes rêves. Ils te diront qu'en réalité le noir est blanc, que la lune n'est autre que le soleil la nuit..."

("Well, If it Seems to Be Real it's Illuson / For Every Moment of Truth There's Confusion in Life (...) The World is Full of Kings and Queens / Who Blind your Eyes The Steal Your Dreams / And They'll Tell You Black is Really White / The Moon is Just the Sun At Night").

Pour comprendre le sens caché du morceau suivant, "Die Young", il convient justement de lire entre les lignes. Il ne s'agit pas, en effet, d'une invitation à mourir jeune en brûlant la chandelle par les deux bouts au nom d'un quelconque idéal rock n' roll. Au contraire ! Ce refrain enjoint en réalité l'auditeur de rester jeune d'esprit jusqu'à la mort, puisse ce jour fatidique arriver le plus tard possible. Venant d'un type qui, à 68 ans, écumait toujours les scènes en chantant ses exploits de tueur de dragon, on ne peut pas douter de la sincérité de ce texte !

Le poète nous rappelle donc de nous recentrer sur l'essentiel, sans succomber aux sirènes du matérialisme:

"Appelle en au vent ! Bien que leur souffle ne puisse t'aider à t'envoler. Te voici dos au mur!" - ("Gather the Wind / Though the Wind Won't Help You Fly At All / Your Back's to the Wall").

L'esprit ainsi débarrassé du superflu, il s'agit alors de rester ancré dans l'ici et le maintenant et de vivre le moment présent  :

"Vis le jour présent, demain pourrait bien ne jamais venir"
("So Live for Today / Tomorrow Never Comes").

Enfin, ne jamais oublier de faire confiance à son intuition mystique:

"Ne vois-tu pas les inscriptions dans l'air ?"  
("Can't You See the Writings in the Air ?")

Et vous, saurez-vous lire entre les lignes la prochaine fois que vous entendrez Dio pousser son chant?  


jeudi 11 janvier 2018

dimanche 31 décembre 2017

Yoda, Maître Jedi... ou Maître Zen?

"Star Wars Episode VIII: Les Derniers Jedi", dernier opus en date de la saga, semble traversé de véritables éclairs de fulgurances zen.

Yoda Zen
 
Je n'ai rien contre "Star Wars". Pour autant, si je ne doute pas de la sincérité des fans les plus hardcore de la franchise, l'engouement excessif entourant la sortie de chaque nouvel épisode  m'a toujours un peu fatigué. Surtout, et malgré ses évidentes qualités de divertissement, la saga m'a toujours paru un brin prétentieuse alors même qu'elle semblait souffrir d'un certain manque de profondeur.

La réflexion sur les origines et le devenir de l'univers, demeure depuis toujours le sujet de prédilection de toute oeuvre de science-fiction. "Star Wars" pouvait aisément s'en passer. L'originalité et la richesse de son univers suffisait à palier toute insuffisance sur le fond, d'autant plus que ce space opera semble au final se rattacher davantage à la sphère du fantastique au sens large qu'à celle de la science fiction.

Le concept fumeux entourant la religion Jedi m'a ainsi toujours paru n'être qu'un malheureux cache-misère, plus à même de mettre en lumière l'indigence philosophique de la saga qu'à lui donner un semblant de profondeur - ce qui était, j'imagine, l'effet escompté. Dommage, tellement il était évident que George Lucas avait puisé son inspiration dans une matière de premier choix: le folklore bouddhique, et plus particulièrement le zen japonais. La robe de Yoda, comme sa manière éliptique de s'exprimer, n'est en effet pas sans  rappeler les maîtres Zen les plus illustres. 

Le dernier opus en date, "Star Wars Episode VIII: Les Derniers Jedi", visionné au cinéma lors d'un paresseux après-midi de vacances de Noël m'a toutefois  amené à réviser mon jugement. Ce film, s'il verse parfois dans le cliché mystico-oriental (Luke Skywalker méditant en lévitation sur un rocher) est, en effet,  traversé à d'autres endroits de véritables éclairs de fulgurances zen.

Le premier d'entre eux intervient lorsque Luke présente la Force comme le principe reliant toutes choses entre elles, faisant ainsi écho au concept d'interdépendance. En effet, selon la doctrine bouddhique, rien n'a d'existence propre car tout ce qui est dans l'univers se trouve au carrefour d'une multitude de chaînes de causes à effets. La chenille existe car elle est en mesure de se nourrir de la feuille. La feuille provient quant à elle de l'arbre qui, lui-même, ne saurait exister s'il n'était pas planté dans la terre, etc... Selon Dõgen, fondateur de l'école zen Soto, l'observation de la nature   permet de contempler la Dharma, soit la réalité ultime de l'univers. Or, dans le film, l'apprentie Jedi Rei saisit justement la nature profonde de la Force en se plongeant dans l'observation du cycle de régénération organique de la nature, laquelle renaît continuellement en se nourrissant de sa propre matière putréfiée.

Plus loin, Yoda surprend Luke alors que celui-ci, déçu par l'échec des Jedi à assurer l'équilibre entre les côtés clair et obscur de la Force, s'apprête à bruler les écrits fondateurs de la religion Jedi. A la grande surprise du spectateur, Yoda devance son élève mais met lui-même feu aux illustres volumes. Ces lectures sont distrayantes, explique-t-il pour justifier son geste, mais le Jedi doit être en mesure de se passer de ces écrits.

On peut ici voir une référence à un célèbre koan Zen. Lorsque l'un de ses élèves a demandé au maître zen Unmon ce qu'était le Bouddha, ce dernier lui a répondu qu'il n'était rien d'autre qu'un "bâton à merde", signifant ainsi que tout le canon des textes bouddhistes n'était au final que du papier bon pour se torcher les fesses! (Pour ceux que le sujet intéresse, l'art de s'essuyer les fesses fait l'objet d'un long développement dans l'un des chapitres du Shobogenzo, l'un des textes fondateurs du zen Soto.) 

Le satori (illumination) consiste en effet à faire l'expérience ultime de la réalité, à acquérir une vision pure et objective du monde en se débarrassant des filtres psychologiques et culturels par lesquels est habituellement conditionné l'observateur. La réalité, insaisissable par l'intellect, ne saurait donc être appréciée à travers le prisme étroit d'une quelconque doctrine philosophique ou religieuse. Le Dharma (enseignement) doit être vu comme un chemin et non comme une finalité. L'élève parvenu à maturité doit alors être en mesure de se débarrasser de toute vision conceptuelle pour atteindre l'illumination.

A ce moment du film, Luke a refusé de prêter main forte à l'Alliance rebelle dans son combat contre le Premier Ordre, nouveaux représentants du côté obscur de la Force.  Pour rappeler son élève à l'essentiel, Yoda l'enjoint d'arrêter à se perdre en élucubrations sur la légitimité des Jedi alors même que la raison d'être de l'Ordre se trouvait "ici et maintenant", juste sous son nez, alors que Rei tentait de la convaincre de partir en bataille à ses côtés! 

L'ancrage dans l'ici et le maintenant est l'essence de la pratique de zazen (méditation assise). La doctrine bouddhique part en effet du principe que la  vie est par nature "frustration" (Dukkha). Cette frustration est causée par notre attachement aux choses,contrarié par la nature changeante et impermanente de l'univers (chaque chose vieillit, meurt, disparaît pour être remplacée par une autre).  La frustration découle également de l'illusion qui nous pousse à toujours à imaginer que la réalité a davantage à nous offrir que ce qui nous est déjà directement disponible (le gazon du voisin est toujours plus vert que le nôtre). Or, en se concentrant sur l'ici et le maintenant, le méditant parvient à apprécier chaque chose pour ce qu'elle est dans son état présent tout en acceptant son caractère impermanent...

Bon, j'imagine qu'il y a encore beaucoup à dire sur le sujet! Une rapide recherche sur Google m'a d'ailleurs appris, sans surprise, que d'autres avaient déjà pointer et creuser le sujet des influences bouddhiques dans "Star Wars". Un livre entier est d'ailleurs consacré à cette étude: "The Darma Of Star Wars", écrit par un certain Matthew Bortolin. Quant à moi, je n'ai plus qu'à me taper l'intégralité de la saga pour réviser mon jugement, peut-être un peu hâtif, sur la portée philosophique de l'oeuvre...


lundi 18 décembre 2017

Space Cadets - Da Bomb (Vanguard Records - 1982)

 "Space Cadets" réunit un casting stellaire (Bernie Worrell et TM Stevens en tête) et propose une orgie de P-Funk totalement décomplexé.


Plutôt que de cadets de l'espace, ce groupe est en réalité composé d'une belle brochette de vétérans du funk. Visez plutôt: deux figures du P-Funk - le claviériste Bernie Worrell et le batteur Tyrone Lampkin -, le bassiste TM Stevens et Kevin Goins (ex- Quazar). Rien que ça ! Un certain Nairobi Sailcat officie à la guitare tandis que les vocaux sont assurés par Jesse Rae, une espèce de timbré en kilt qui collaborera plus tard avec Roger Troutman.

Cet album éponyme, s'il ne réinvente pas la poudre, n'en est pas moins foutrement efficace ! Guitares passées au phaser, voix filtrées à l'hélium et claviers intergalactiques participent ainsi à l'érection d'un véritable château gonflable funk aux grooves ludiques et pneumatiques. Parmi les morceaux les plus marquants, on pourrait citer « Make Me Funk (Fonkin'Straight Ahead) , véritable invitation au headbangin', « Love Slave » et sa ligne de basse insensée ou le gravement débile « Mother », énième variation sur le thème du standard « Louie Louie ».


S'il fallait trouver un mot unique pour décrire cet album, ça serait certainement l'adjectif « stupide » : crétin au point qu'il en devient génial (l'album a d'ailleurs été réédité en CD sous le titre "Da Bomb" avec, en autres bonus, le fort à propos "Lez Git Stoopid"). En somme, on pourrait en quelque sorte voir dans ce P-Funk bubble gum l'équivalent musical d'un repas au Mc Do : un plaisir superficiel et un peu coupable mais immédiat et franchement jouissif.

Sorti en 1981, soit après l'effondrement de l'empire Parliament-Funkadelic, "Space Cadets" est un peu la poire pour la soif du funkateer en rade de P. L'album que l'on découvre une fois que l'on a épuisé le répertoire entier de George Clinton, et que l'on fouille désespérément les coins, avec le vague espoir de tomber sur une ultime dose de P-Funk...

mercredi 29 novembre 2017

"A la recherche de l'Ultimate Mix" de Fonk et Filips (1986)

Les aventures de Moses Viders, funkateer à la recherche de l'Ultimate Mix. Une BD ultra funky signée Fonk (scénario) et Filips (dessins).


Imaginez un New York dystopique dans lequel le Funk aurait été privatisé par l'élite, contraignant les funkateers à se rendre dans des clubs glauques une fois la nuit tombée pour satisfaire leur appétit de groove. A condition toutefois d'avoir su échapper aux pluies acides ("Putain de liquid!") et à la milice armée des Atomic Dogs, prête à vous lancer un vinyle au travers du crâne! Dans ce contexte, le héro Moses Vider va tenter de rendre le funk au masses en retrouvant l'Ultimate Mix,  véritable Saint Graal du groove confisqué par l'infâme DJ Sir Nose !   

Vous l'aurez compris, "A la recherche de l'Ultimate Mix" s'adresse avant tout aux timbrés de funk. Les références à cette sous-culture musicale pullulent au fil des pages, des plus évidentes (le personnage d'Afrodisia calqué sur la muse princière Appolonia) aux plus obscures (le groupe Jimmy G & The Tackheads a réellement existé!). L'initié prendra notamment un malin plaisir à reconnaître les citations de James Brown, Sly Stone et autres George Clinton tagués sur les murs d'un New York glauque et crados.

Un hommage au groove sur le fond mais également en la forme, grâce au dessin ultra-funky de Filips (déjà auteur de la fameuse pochette du 45 tours "Bouge de là" de MC Solaar). Petit spoiler, pour terminer: l'Ultimate Mix existe réellement... Il s'agit bien évidemment du 'One Nation Under A Groove" de Funkadelic!






lundi 6 novembre 2017

Funkadelic: Reworkd By Detroiters (Ace Records - 2017)

Avec "Reworked By Detroiters", le label Ace Records  propose une relecture intéressante du Funkadelic période Westbound par la scène electro de Detroit.




Lire notre chronique complète sur Funk-U.